La mémoire d'une dryade est comme un recueil interminable; les souvenirs s'y multiplient tant que nul autre qu'elle-même ne pourrait les retenir tous et ne pas en perdre la raison. Circé ne compte plus les siens, elle pourrait en remplir un livre ou même plusieurs. Il suffirait qu'elle prenne la plume, trempe sa pointe dans un pot d'encre noire, se penche sur un parchemin, et trace ces mots.

"Préface

L'histoire qui lie l'une des Dryades majeures les plus puissantes du continent à l'illustre et légendaire Reine des Elfes est assez méconnue de part ses racines anciennes et les conflits ancestraux qui en sont à l'origine. Ce recueil  prétend vous apporter un témoignage morcelé mais néanmoins fidèle de ce qu'il advint. Si l'exactitude de certaines dates peut être mise en doute, les faits qui sont rapportés ici sont avérés et constituent l'héritage historiques des peuples du Nord, des plaines de Sneachta aux falaises qui bordent la Mer du Septentrion."

1147 - Ourgéonn

"Moi, Silvear Formenya, Grand Prêtre de Maïtar, porte-parole de notre divin protecteur, j'annonce au peuple Elfe la venue au monde de ma fille, première-née, Lossëa. Puisse-t-elle longtemps servir notre dieu, garants de notre nation. Les oracles lui ont prédit un brillant avenir, un grand pouvoir pour un grand destin. Puisse notre divin protecteur lui accorder son aide et sa bénédiction."

"Mon cher Danolor,

Voilà bien longtemps que je n'ai pas reçu de tes nouvelles. Les anecdotes que tu me contes sur tes apprentis se font vétustes. Pourtant il m'est agréable de connaître les dernières idées et agissements de l'avenir de notre clergé. Je t'annonce donc l'arrivée d'une nouvelle élève qui, je l'espère, nous donnera l'occasion de discuter de nouveau de tes petits protégés. Il s'agit de la fille de Silvear Formenya qui, m'a-t-on dit, se destine, malgré son jeune âge, à exceller dans les ordres sur les pas de son illustre père. Je ne sais ce que cette enfant a de si extraordinaire, mais l'enthousiasme de ses professeurs m'enchante et m'encourage à la confier à ton enseignement. Je suis curieux de lire tes prochaines lettres pour me faire part de ton opinion sur ce prodige suscitant les louanges.

J'ai de mauvaises nouvelles du Sud. Silmith essuie de profondes dissensions entre l'alliance des cités Narquelien, Minassë et Nurtalë, soutenant l'Ordre d'Isilta, et les rebelles reniant les dieux. Les Enfants de la Chasseresse demandent l'aide de l'Ordre de Maïtar pour maintenir la paix dans sa forêt. L'entente précaire des cités du Nord ne perdurant qu'à grand peine, je ne sais si Ilcarë Irin dépêchera ses émissaires au risque de s'affaiblir elle-même. Silvear Formenya s'entretient aujourd'hui avec Jezabel Ruivë, l'actuelle dirigeante de la Garde pour en décider.

En souhaitant que les dieux nous aident pour l'union de notre peuple,
Bien à toi,
Maniël Lumbo"

"A Jezabel Ruivë Turco, Commandante de la Garde,

La situation se dégrade peu à peu à Silmith. Nous sommes au bord d'une guerre et seule la présence d'une force calme et à l'autorité reconnue semble pouvoir faire barrage à la violence qui nous menace… Les adorateurs de l'ancien culte défient l'ordre chaque jour. Les incendies, les appels au renversement, les incidents de toute sorte, se multiplient. Nous sommes impuissants devant un tel déchainement. La cité de Melehta nie toujours la responsabilité des fidèles de Yarada. Pourtant Raknor Solin'em les exhorte au refus de nos divinités et à la révolte à chacun de ses discours. Le dialogue semble impossible avec ce prêcheur qui représente pourtant le seul substitut de dirigeant de leur organisation sectaire. Si Melehta ne répudie pas cet instigateur et si Féopal ne nous apporte aucun soutien, alors les cités de la Chasseresse entreront en guerre. Cela emplit mon cœur de chagrin mais nous n'avons plus guère de choix.

Que les dieux vous épargnent de notre malheur,
Yalisma Raust"

"Mes frères, mes sœurs, enfin notre ère est venue. On nous entend, nous, le peuple héritier de Yarada, notre créateur. On nous traite de rebelles, de renégats, on méprise notre adoration, on récuse nos idées et nos espérances, on tente de nous faire taire, nous qui n'avons pas oublié. N'est-ce pas le début d'une victoire, d'une reconnaissance qui nous était jusque-là refusée ? Je vous concède que le temps qui verra notre race recouvrer la voie de la vérité, les préceptes de Yarada, sont encore lointains, mais briser le silence fut le premier pas. Ne perdez pas courage et ne perdez pas foi. Quand viendra le jour de notre triomphe, vous serez fiers de pouvoir clamer que vous faites partie des elfes qui nous ont libérés de l'emprise des Dieux. Que Melehta soit le premier bastion de notre liberté ! Que Narquelion soit le prochain ! Et que Silmith entrevoit enfin que le joug des Dieux est une insulte à notre souveraineté !

Marchez avec moi, fils et filles de Yarada. La nuit est sombre mais je vois poindre le jour."

"… si Ilcarë Irin fait autorité à Féopal, sa suprématie est régulièrement remise en cause. Maïtar, notre protecteur, nous offre un idéal de paix et d'harmonie, suivi par bien des fidèles et enseigné de générations en générations par son clergé, dirigé avec sagesse par notre Grand Prêtre Silvear Formenya. Si les rebellions se font cependant rares dans le Nord, grâce à la pacification progressive, à la cohésion de la Garde et aux ententes forgées entre les communautés, vous n'êtes pas sans savoir que Rùnda est actuellement inhospitalière aux fidèles de nos dieux vénérés, et que tout récemment, Silmith est rendue instable par de petits groupes d'activistes qui en appellent à la violence et au renversement de notre culture.

- Monsieur Alcarinqua s'il vous plait ?

- Oui Lossëa ?

- L'Ordre d'Isilta n'est-il pas censé maintenir la paix dans la forêt du Sud ? Comment se fait-il que notre peuple y rencontre des dissensions ? Quelles sont les revendications des activistes ?

- Et bien l'actuel meneur de cette minorité est Raknor Solin'em, l'actuel seigneur de la cité de Melehta. Il en appelle à la révolte et renie nos dieux en clamant que nous sommes dans l'erreur et que le véritable protecteur de notre race est Yarada, une sorte de divinité prétendument plus ancienne que Maïtar et Isilta. Selon lui, nous sommes sous le joug d'usurpateurs et nous devons nous débarrasser de nos coutumes et ferveur pour retrouver la voie. Ceci est grotesque évidemment. La Garde se prépare d'ailleurs à envoyer l'un de ses détachements pour remettre de l'ordre dans notre forêt. Reprenons...

- Monsieur, excusez-moi ?

- Oui Lossëa ?

- Quels éléments vous permettent de qualifier de "grotesques" les croyances de ces activistes ?

- Je… et bien… enfin, Lossëa, cette question frôle le blasphème ! Compte tenu du statut de votre père, j'ose espérer que vous n'émettez pas de doute sur la légitimité de Maïtar en tant que protecteurs des Elfes ?

- Non monsieur. Je m'interroge simplement sur le fait que l'on n'ait pu détromper les activistes sur leurs fausses idées si leur absurdité ne fait aucun doute. Ne pourrait-on trouver des explications rationnelles à cet appel au culte de Yarada ? N'y aurait-il pas un fond de vérité dans leurs discours ? Leur fanatisme n'a-t-il aucun fondement historique sur lequel s'appuyer ? Si Rùnda est aux mains de rebelles et que cela s'étend à présent à Silmith, peut-être devrions-nous nous interroger sur les origines de leur rejet des Dieux ?

- Votre curiosité dépasse malheureusement les notions abordées dans ce cours… vous pourrez adresser vos question au professeur Imbë si vous le souhaitez. Reprenons si vous le voulez bien jeunes gens. Nous allons tout d'abord étudier l'entente établie en mille cent cinquante-deux entre Ilcarë Irin et Is à travers le texte signé par les deux partis…"

1157 - Ourgéonn

"Ma curiosité est aiguillée de toute part au fur et à mesure que mes enseignements. L'impression d'effleurer des enjeux primordiaux et de ne pouvoir les saisir pleinement subsiste à chacune de mes questions. Le sujet des rebelles revient sans arrêt sur toutes les lèvres, et la dégradation de la situation à Silmith ne fait aucun doute malgré les messages rassurants que l'on veut nous faire entendre. La Garde ne sera pas la solution miracle face aux actes des activistes. Ce n'est pas une guerre conventionnelle dans laquelle nos soldats s'engagent, il s'agit plutôt d'un appel désespéré à la reconnaissance dont le mépris a engendré la violence… Il faut que j'en sache plus sur le culte de Yarada. Je suis de plus en plus convaincue que le refus pur et simple de leurs idées n'a d'échos que leur refus pur et simple des nôtres. De quel droit nous désignons-nous comme le parti de la vérité ? Qu'avons-nous pour justifier de la suprématie de notre culte par rapport au leur ? Ne pourrait-on imaginer trois divinités veillant sur notre peuple plutôt que deux ? Après tout, personne n'a jamais nié Isilta pour prier Maïtar ! Puisque l'on ne me donne qu'un seul point de vue pour juger, il faudra bien que j'aille chercher les réponses par moi-même, mais comment m'y prendre ? Devrai-je pour cela chercher à rencontrer ces rebelles ?"

1157 – Ourgéonn

"Cette situation devient intolérable. Combien de temps devrons-nous nous montrer cléments à l’encontre de Melehta ? Il est pourtant clair, je dirais même évident à tous que le seigneur Solin’em est le seul véritable vecteur de chaos présent à Silmith ? Est-il si impensable de le destituer pour trouble à l’ordre publique et incitation à la violence ? Nous n’aurions qu’à le remplacer par un nouveau souverain plus fiable et plus unanime auprès du peuple.

- Jezabel, je vous répète que Raknor Solin’em n’est pas un simple agitateur, il fait pour l’instant office de guide spirituel, mais rien ne l’empêchera de devenir un martyr si nous nous en prenons à lui.

- Silvear, vous qui raisonnez toujours en symbole, pourquoi refusez-vous d’en faire un pour une fois ? Celui de la force implacable de Féopal, de son soutien indéfectible auprès les chasseresses d’Isilta, de la fermeté de son désir de paix et de son intransigeance auprès de ceux qui le mettent en péril ? Le Nord n’a pas été soudé dans la passivité totale. Les chasseresses demandent des actes.

- Je connais l’histoire de notre peuple aussi bien que vous, Commandante, ne m’insultez pas de la sorte alors que j’essaye comme vous de trouver la meilleure alternative pour tous. S’il ne fait aucun doute que nous ne pouvons plus nous limiter au rôle de médiateur, je ne suis pas certain qu’envoyer la Garde comme une force de répression implacable soit réellement le meilleur moyen d’instaurer la sérénité à Silmith.

- Que proposez-vous alors, Grand Prêtre de Maïtar ?

- Des pourparlers. Envoyons la Garde comme force calme sécuriser Narquelion, Minasse et Nurtalë, puis des émissaires tenter de raisonner Raknor Solin’em, ou du moins de comprendre ce qu’il tente de faire et, s’il n’existe aucun compromis possible, alors seulement il sera temps d’employer la force."