Car si le bon professeur avait continué à vivre une vie paisible et sereine dans la belle Ashar-La, cette histoire ne vaudrait pas la peine que vous la lisiez! Pour rappel, nous sommes en 1293.

Pendant ce temps, au Shular-Kam, le roi des Ajanils locaux, Kami Arad, reçoit la visite d'un étrange personnage. Il dit s'appeler Désadre. Il est étranger. Il est mage. Et il propose, contre rémunération, d'offrir au Shular-Kam une victoire assurée contre le Kehmren. Kami Arad accepte, presque sans hésiter, après avoir entendu les détails de l'offre de Désadre. Son royaume comporte peu d'arbres, et peu de rivières, des ressources rares et précieuses dans ces terres arides. Des ressources que le Kehmren possède.

Trois mois plus tard, la nouvelle arrive comme un coup de tonnerre : l'armée du Shular-Kam a frappé en plein milieu du Kehmren! Comment ont ils pu arriver là sans être repérés? Combien sont ils exactement? Mystère. Mais avant que quiconque aie pu réagir, les Ajanils ont déjà pris deux villes. L'action se déroule bien loin d'Ashar-Là, mais Fadil a peur. Il part demander conseil à son père. Le vieil homme reste avant tout un soldat et un patriote. Il enjoint Fadil à se battre pour que le Kehmren ne soit pas grignoté morceau par morceau par les félins belliqueux. Il cède, et rejoint l'armée. Qu'avait il a perdre de toute façon?

Les Ajanils tentent de relier leur avant poste au coeur du Kehmren à la frontière Shularienne en progressant sur deux fronts. Si ils réussissent, le tiers du Kehmren sera encerclé, isolé, annexé.
Fadil est envoyé sur le front Nord, le plus proche d'Ashar-Là. Il ne lui a été dispensé qu'un entraînement sommaire. Il fait partie de cette masse de chair à canon qui sera envoyé en première ligne, sacrifié. Mais le jeune professeur apprend vite. La chance aidant, il survit à une bataille, puis à une seconde, monte de grade à la troisième. Mais ce n'est que défaite sur défaite, les Ajanils progressent au Nord.
Au sud, les troupes dirigées par son frère Kanun reprennent une ville des griffes des Shulariens. C'est la première victoire depuis le début de la guerre, il y a 2 mois. Kanun en obtiendra deux autres, avant d'être brûlé vif par un mage de guerre ennemi. Fadil pleure en silence.

En tout, il restera neuf mois sur le front. Puis, ses maigres connaissances en anatomie lui vaudront d'être réquisitionné comme chirurgien de guerre pendant quatre autres mois. Pendant tout ce temps, l'action de l'armée Kehmrenne au Nord semble se résumer à ralentir la progression inexorable des félins. Toutes les attaques par le flanc ou l'arrière sont des échecs. L'ennemi reste très nombreux malgré de lourdes pertes pour les deux camps à chaque bataille. C'est à croire que tout le peuple Shularien a migré au Kehmren.

Un choix cruel se pose à Fadil le treizième mois. La progression des Shulariens les mène droit vers Ashar-Là. Que faire? Rester, et aider les soldats? Ou partir, prévenir les citoyens de sa ville d'attache? Il opte pour la désertion.
Fadil prend un cheval et fonce vers Ashar-Là. Il y arrive trois jours avant les Shulariens, permettant à la majeure partie de la population de s'enfuir, d'évacuer. Quand à ceux qui ne peuvent pas, ne veulent pas, ou ne doivent pas, il les fait cacher dans les caves de l'université.
Quand les Ajanils arrivent, ils sont face à une ville déserte, sans âme qui vive. Leur commandant ordonne de réunir toutes les vivres possibles et de ne pas s'attarder dans ce lieu sinistre et inutile.

C'est ainsi qu'Ashar-Là fut sauvée. Bien plus tard, on célébrerait une fête ce jour là, chaque année. Une commémoration de la "Non-Bataille du Professeur d'Ashar-Là".
Mais ce que Fadil voit pour l'instant, c'est que lui, ainsi que la milice de la ville restée à ses côtés, et quelques sorciers de l'Académie de Magie, sont maintenant derrière les lignes ennemies...
Il envoie un message par oiseau au commandement indiquant leur situation et demandant des instructions. La réponse revient vite : leur tâche, si ils s'en sentent le courage, est d'aller, en groupe restreint, investiguer l'avant poste Shularien. Le point de départ de leur invasion...

La mission est acceptée. Une équipe de six personnes, comprenant Fadil et Kutaib (voir chapitre précédent) est envoyée à la recherche de l'avant poste. Ils inspectent toutes les villes de la zone de départ de l'invasion, à la recherche du point précis par lequel les Shulariens ont commencé leur guerre.
Il trouvent leur bonheur en la présence de la ville de Kalisk. Ils arrivent de nuit, et se faufilent entre les bâtiments et les patrouilles. Là, ils découvrent avec horreur la source de la puissance militaire de leurs ennemis : une énorme brèche semble s'être ouverte dans les airs, une plaie béante de près de dix mètres de longueur, ouverte dans le vide et scintillant d'une énergie bleutée. Et de cette brèche, sortent des phalanges entières de guerriers félins.

La conclusion est aisée : cette brèche semble être un portail qui mène les ajannils au coeur du territoire Kehmren. Mais comment le détruire? Les six décident de s'en aller pour l'instant, et d'en référer au commandement. Mais ils sont surpris par un patrouilleur solitaire.
Il donne l'alerte.
Les six sont pourchassés à travers Kalisk par une armée Shularienne en pleine forme. Ils sont séparés, mais tous arrivent à retrouver leur cheval, et fuient la cité.

Tous, sauf un.
Fadil, perdu dans les ruelles de la ville, court pour sa survie. Il a arrêté de compter les soldats qui le poursuivaient quand ils ont dépassé quinze. Malgré fumigènes et éblouissants, il se retrouve finalement acculé, pris au piège entre les soldats et le mystérieux portail. Il réalise qu'il ne lui reste plus qu'une solution.

Il plonge dans la brèche.

Re-situez vous : nous sommes au temps doré 1294. Notre protagoniste vient de plonger héroïquement (parce qu'il avait pas trop le choix) dans un portail vers l'inconnu...

...Qui le transporte en un clin d'oeil au milieu du Shular-Kam! Enfin, ça il ne le sait pas encore avec certitude, mais il s'en doute bien!
Effrayé et désorienté, Fadil prend rapidement connaissance de son environnement : d'un côté, un camp militaire ajanil. De l'autre, le désert. Et autour de lui, une structure de pierre, une sorte d'arche couverte de runes mystérieuses, pulsantes d'énergie. Et en son centre, le passage. Mais le plus surprenant est que les huit mages qui semblent maintenir la brèche ouverte par leurs incantations sont tous humains.

Fadil n'a pas le temps de s'attarder. Dans quelques secondes, il sera repéré. Il doit fuir, droit vers le désert. Ses ennemis n'ont pas réagi assez vite pour engager une poursuite, mais les flèches pleuvent autour de lui. L'une d'elles l'atteint à l'épaule gauche. Finalement hors de portée, il se cache dans une anfractuosité entre des rochers et panse sa blessure. Il échappe ainsi à une patrouille, et les ajanils le croient mort, perdu dans le désert. Un commandant avisé décida que l'affaire devait être étouffée si il voulait garder sa tête.

Fadil dort tout le lendemain, puis, tenaillé par la faim, sort de sa cachette à la nuit tombée. Il se barbouille le visage de la poussière du désert et s'infiltre dans le camp. Après un repas de pain et de viande crue avalés en hâte, il décide que sa présence ici devrait au moins servir à quelque chose. Il se cache en haut d'une falaise, et observe les mages qui maintiennent le portail ouvert.

Il sont au nombre de huit, positionnés autour de la structure, et psalmodiant sans interruption. Du moins, PRESQUE sans interruption. Toutes les heures, un nouveau mage vient s'ajouter au cercle, afin qu'un autre puisse en sortir. Mais quelque chose cloche. Il passe cinq heures perché sur son rocher, guettant, et ne comprend que quand l'aube pointe son nez à l'horizon : les mages qui sortent du cercle ne vont pas vers le camp!

Il saisit l'occasion et prend en filature le prochain mage sortant. Il faut savoir que le Kehmren n'est pas un désert de sable. C'est une étendue rocheuse couverte de poussière rougeâtre, remplie de vallées et de crevasses, parsemée de rochers et de falaises abruptes.
Fadil suit le mage à travers un dédale de canyons, quand celui-ci, après un tournant, disparaît, tout simplement. Fadil ne comprenait pas. En face de lui s'élevait une paroi rocheuse. Aucun passage. Aucun sentier. Il commença par palper et pousser sur la paroi, mais elle ne bougea pas. Il tenta de sentir un courant d'air, mais il n'en trouva pas. De rage, il lança un caillou sur la paroi...et la paroi se brisa.

Devant lui s'ouvre l'entrée d'une galerie, à peine de la taille d'un homme. Elle avait été bouchée par un astucieux jeu de miroir, que le caillou lancé par Fadil avait brisé. Médusé par sa chance, Fadil entre dans la galerie. Au fond de celle-ci, il peut distinguer de la lumière, et entendre ce qui ressemble à des chants.

La galerie s'ouvre sur une large caverne et, lorsque Fadil y jette un oeil, il étouffe un cri de surprise et de terreur. Au centre de la "pièce" se tient une grande statue, d'un homme musclé, tenant dans sa main droite un éclair, et dans sa main gauche, une épée. Autour de lui sont allumés plusieurs feux, et encore autour étaient rassemblés les mages. Ils sont prosternés aux pieds de la statue, chantant en un langage que Fadil ne connaît pas.

Les mages vénèrent un dieu dont le culte est interdit au Kehmren, et dont même le nom est tabou : Khtaar.